[ap_dropcaps style= »ap-normal »]T[/ap_dropcaps]hibaud Châtel, créateur de Magnus Corsi participe, aujourd’hui, à l’une des conférences sur les statistiques les plus en vue dans le sport professionnel : « The ISOL-HAC ». C’est le moment pour Plan de Match d’entamer une série d’articles sur les « fameuses » statistiques avancées. Personne n’y comprends rien ou ne sait pas à quoi cela sert vraiment… Thibaud nous donne quelques pistes, nous irons plus loin avec son aide prochainement. A n’en pas douter, les statistiques avancées font partie de l’avenir du hockey sur glace. Nous essaierons d’être le plus pédagogique possible.
Plan de match : Pour être un bon analyste de statistiques faut-il avoir joué au hockey ?
Non. Le hockey semble une chasse gardée d’anciens joueurs mais y a aucune raison qu’il soit différent des autres sports. C’est même sûrement en soi une limitation car les personnes extérieures apportent des idées nouvelles. Autant pour un poste proche des joueurs, une expérience de ce qu’ils vivent semble nécessaire, autant un poste objectif d’analyste ne nécessite pas d’avoir connu le haut niveau. Il faut le comprendre en revanche. Mais on ne demande pas aux critiques d’art de savoir peindre.
Plan de match : Avoir obligatoirement tracker des matchs ?
Je pense que c’est la base, pour comprendre d’où viennent les stats, comment et à quel moment elles sont collectées. C’est mettre les mains sous le capot. Ce n’est pas obligatoire mais ce serait le premier conseil que je donnerais. Pas besoin d’avoir un doctorat en stats pour les analyser. Pour en créer c’est autre chose. Des notions de bases de mathématiques et de logique, oui mais c’est tout. Si on est capable de développer ses propres modèles, tant mieux, et c’est pour cela que les équipes NHL embauchent des cerveaux diplômés, mais sinon il suffit de répliquer ce que d’autres ont créé et validé avant nous.
Plan de match : Dirais-tu que nous n’en sommes qu’au début des stats ?
Je dirais qu’on a passé le prologue, maintenant qu’elles sont acceptées à peu près partout. Mais ce n’est que le début quand on sait ce que d’autres sports en font. Dans le futur, on collectera toujours plus de données, comme avec les puces implantées dans les palets et les maillots en NHL et cela ouvre des horizons immenses. Ensuite, il faudra s’en servir à tous les étages. Nulle question que les stats remplacent l’oeil humain mais qu’elles aient leur place légitime dans le débat. On a encore une grande majorité des « spécialistes » de la draft au sein des médias nord-américains qui se basent sur 3-4 matchs vus lors de tournois internationaux. Rien sur la performance tout au long de la saison, rien sur l’évolution des années passées, aucune projection statistique…
Plan de match : Quels sont les chantiers à explorer dans les stats hockey ?
Tracker tous les événements de jeu possibles et imaginables. De la gestuelle des joueurs jusqu’aux interactions entre eux. Théoriquement, vu les puces comme on aura en NHL. Et lier ces événements les uns aux autres. Si je prévois d’aligner Ovechkin contre Victor Hedman, je veux savoir comment Hedman gère les entrées de zone suivant que l’attaquant est sur son revers, ou son côté fort, s’il pique vers le centre, etc. Afin de briefer Ovechkin avant le match.
Plan de match : Quand on te dit que les stats ne servent à rien, qu’est-ce que tu te dis ?
Je ne me dis plus rien. Je sais juste que la personne ne sait pas de quoi elle parle. La plus grande barrière encore actuellement, c’est la méconnaissance de ce que sont les stats (avancées) et leur potentiel. Si la connaissance que l’on en a est celle de métriques bizarres, dont on ne sait pas comment elles sont calculées (exemple des buts anticipés), et d’avoir lu ou entendu d’un œil méfiant que les stats peuvent réapprendre beaucoup de choses sur le hockey… On se braque, c’est humain. En tant que fans ou professionnel, avec des décennies d’expérience, comment peut-on se faire donner des leçons par des chiffres ? Mais tous les joueurs ou coachs qui ont pris une minute pour venir nous poser des questions sont repartis en nous remerciant. Et quand on prend conscience de tout ce qu’on peut mesurer lors d’un match, de la science qui existe derrière, des recherches faites pour identifier les données les plus pertinentes, des efforts faits pour présenter et appliquer les résultats, on ne peut qu’être enthousiastes. Tous les sports majeurs dans le monde utilisent aujourd’hui les stats. Tous les secteurs de l’économie utilisent les stats pour améliorer leurs performances, pourquoi le hockey serait un monde à part ?La NHL baigne désormais dedans. Les grands championnats européens aussi. Il ne faut pas que la France rate le train sous peine de prendre encore du retard mais heureusement il y a toute une génération qui est bien consciente du besoin de se moderniser.
Plan de match : Tu as accompagné l’équipe de France A, U20 et des clubs en France et à l’étranger, quels sont les retours ?
Ça va dépendre de la volonté du staff, mais aujourd’hui je ne choisirais plus une équipe qui n’est pas curieuse et motivée. Donc les dernières expériences se sont très bien passées, surtout que le succès sportif est au rendez-vous ! Quand des coachs passés en NHL disent « wow c’est génial », c’est quand même plaisant à entendre et qu’on va dans la bonne direction. Par exemple, le staff de l’équipe de France U20, Pierre Pousse, Alexis Billard et Alexandre Rouillard a complètement embarqué et la préparation et le mondial 2019 ont été une super expérience de travail en groupe, avec Mathieu mon binôme de Magnus Corsi qui était de l’aventure. Dommage que l’issue du tournoi se joue sur un petit but… En dehors de ça, les discussions que je peux avoir avec des coachs de Magnus sont toujours constructives, ils ont plein de questions pertinentes et me donnent leur perspective. J’apprends beaucoup aussi à leur contact.
Plan de match : Que penses-tu des logiciels comme Iceberg, Innstat ou Sportlogic ? A quoi servent-ils ? [NDLR : Certains clubs de Magnus ou D1 utilisaient Iceberg en 2019-2020]
Ce sont les leaders du marché pour la collecte de stats. Certains ont développé une intelligence artificielle afin de collecter un nombre incroyable de gestes et actions sur la glace, ce qui va beaucoup, beaucoup plus loin que ce qu’un humain peut faire avec ses yeux. Ensuite chacun propose les stats sur une plateforme, relié à la vidéo donc chaque stat peut être visualisée en vidéo en un seul clic, ce qui es parfait. Sportlogiq, basé à Montreal, fournit par exemple la majorité des équipes NHL et toute la SHL.
En revanche, les retours que j’ai eu de coachs sont toujours les mêmes. L’outil en tant que tel ne suffit pas sans un humain pour s’en servir. Pour un coach sans vraie formation stats, c’est trop de chiffres, et à force de ne pas savoir où regarder, ils ne regardent plus. Que l’on collecte des stats à la main ou que l’on paye une compagnie, je suis 100% persuadé qu’il faut un analyste pour traduire toute l’information en langage pertinent pour le staff. Il faut pouvoir passer de milliers de données à une recommandation orale en 30 secondes.
Plan de match : Quel est le rôle d’un analyste stats au sein d’une équipe ?
Typiquement, un jour de match on traque la rencontre, ce qui signifie regarder la vidéo et noter les stats au fur et à mesure. Ça prend 3 heures environ pour 60 minutes de jeu, et je note entre 3000 à 4000 informations différentes. Ensuite, les données sont mises sur une plateforme en ligne où des graphiques, tableaux et autres visuels se créent automatiquement et auxquels les coachs ont accès. En plus de ça, je transmets mes impressions générales et fait ressortir des stats marquantes sur un joueur ou l’équipe. Entre les matchs, le rôle est de faire des analyses de circonstances, comment le joueur x ou y performe en ce moment, comment l’équipe gère les entrées de zone depuis 5 matchs, etc. Et de sortir des infos sur les adversaires, en traquant le plus de matchs possibles des autres équipes. Enfin, entre les saisons, on peut aider au recrutement en sortant des infos sur des joueurs ou en faisant des projections. Et de faire de la recherche et de développer des nouveaux outils.
Plan de match : Aujourd’hui tu interviens à The Isolation Hockey Analytics Conférence, qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
C’est franchement énorme. Ces conférences existent maintenant depuis 4-5 ans. Les Blue Jackets de Columbus ont même été les premiers cette année à en organiser une au nom d’une équipe NHL. Les meilleurs analystes y présentent leurs derniers travaux et le public est de plus en plus nombreux, notamment envoyé par des équipes. Avoir publié une recherche digne de pouvoir être présentée là c’est vraiment super. Après la sortie de l’article, un analyste d’une équipe NHL était venu me parler pour poser des questions, c’est vraiment valorisant et encourageant. Le travail paye !
Plan de match : Pour terminer, MagnusCorsi c’est vraiment fini ?
Sous la forme actuelle, oui. Entre Magnus Corsi et mon rôle d’analyste en équipe, les U20 pendant les trêves, c’est 40 heures par semaine pour le hockey… en plus de mon travail et de la famille… C’était génial mais j’ai fini sur les rotules. Mathieu, mon collègue, aussi. Je ne me plains pas, l’aventure a été extraordinaire mais faut être réaliste sur ses capacités et celles de l’équipe de volontaires qui nous accompagne depuis le début. En revanche, on s’est attaché ! On va donc continuer à analyser ce qu’on peut, sur les joueurs surtout, mais on ne collectera plus les données nous-mêmes. Le plan idéal serait que la ligue commence à traquer ne serait-ce que tous les tirs tentés avec leur emplacement, ce que faisait Magnus Corsi, et on aurait plus qu’à s’en servir.