Depuis le 24 février 2022, le monde a changé. Nous ne savons encore quelles seront les conséquences à long terme de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plan de Match a souhaité étudier les impacts à court, moyen et long terme pour le hockey sur glace. Nous avons défini trois catégories : le sportif, l’économique et l’organisationnel. Plan de Match vous propose un tour d’horizon.
En préambule, rappelons le contexte actuel afin de mieux appréhender la situation dans son ensemble. Lorsque Vladimir Poutine envahit l’Ukraine le 24 février, il a probablement imaginé toutes les répercussions sur la Russie et ses athlètes à travers le monde. Lorsqu’il accède au pouvoir en mai 2000, il a une priorité : redonner une fierté au peuple russe. En effet, à la chute de l’Union Soviétique dans les années 1990, la période a été particulièrement difficile pour de nombreux Russes. Beaucoup d’entre eux arrivaient tout juste à se nourrir.
Le sport, particulièrement le hockey sur glace, a été utilisé tout au long des années 2000 et 2010, comme « soft-power » par le Kremlin. C’est pourquoi, lorsque l’offensive militaire russe en Ukraine intervient, le monde du sport est en ébullition. De nombreux sports décident de mettre au banc les athlètes russes, et ce malgré l’importance des fédérations sportives russes. C’est le cas du hockey sur glace qui dès le 28 février 2022 par la voix de son président Luc Tardif décide d’exclure la Russie et la Biélorussie de toutes les compétitions de hockey. Cela a eu un impact sportif immédiat.
Les conséquences à court-terme : championnats du monde et équipes nationales
Ces exclusions ont été vécues comme cadeau empoisonné pour la France et l’Autriche. En effet, ces deux nations ont été propulsées en élite pour les hommes. Cela a permis à la Suède de remonter directement en élite chez les femmes. Une opportunité pareille, dans un tel contexte, n’est jamais simple à appréhender. Pour la fédération française de hockey sur glace, il a fallu revoir toute l’organisation du mondial à Angers tout juste un mois avant. Quant à l’équipe de France masculine, elle a dû revoir toute sa préparation au dernier moment. En effet, participer à un mondial D1 A, ce n’est pas la même chose que de participer à un mondial élite.
Plus généralement, l’organisation même du mondial a été touchée. Une conséquence économique non négligeable est la perte de revenus en billetterie et droits TV avec la non-participation de la Russie. La politique prend le pas sur le sport et symboliquement l’organisation a décidé de ne pas jouer à l’Hartwall Arena d’Helsinki. En effet, le complexe prévu initialement par l’organisation est détenu par un oligarque russe.
Ainsi, même si le sport ne devrait pas être politique, par la force des choses, il l’est. Cela nous amène à la seconde conséquence de très court terme liée à ce conflit. Les pays d’Europe du Nord comme la Finlande, la Suède ou la Lettonie ont pris des mesures strictes. Les joueurs éligibles à l’équipe nationale. Si l’un d’eux décide de jouer en KHL, il ne serait alors plus éligible en sélection nationale. L’un des derniers exemples en date, Janis Kalnins, joueur Letton exclu de l’équipe nationale après sa signature à Amour Khabarovsk (Sibérie orientale). Un acte fort mêlant le sport à la politique.
Dans le même temps, les joueurs russes ont été bannis de nombreuses ligues : Roumanie, Hongrie, Lettonie, Pologne… Ainsi, chaque signature en KHL d’un joueur étranger est scrutée et commentée en Russie comme dans le reste de l’Europe. Cela interroge sur la liberté des joueurs de mener leur carrière à leur guise.
À moyen terme, les joueurs pourront-ils mener leurs carrières librement ?
Malgré les conséquences économiques et sportives, les clubs du Jokerit (Helsinki, Finlande) et de Riga (Lettonie) ont décidé de se retirer du championnat russe. Ainsi, des joueurs qui souhaitent jouer dans une ligue reconnue tout en restant en Europe se voient priver de cette possibilité.
Ces derniers jours, nous constatons également des « sanctions » envers des sportifs comme Fedotov ou Kaprizov. Leurs histoires ont été longuement commentées. Pour mieux appréhender ce qu’il s’est passé, il est primordial d’avoir un élément en tête, le service militaire est obligatoire en Russie. Même s’il existe des dérogations lorsque vous êtes étudiants ou sportifs de haut niveau. En effet, votre club peut passer un accord pour vous exempter de service militaire.
Dans les histoires qui nous concernent, le silence du CSKA Moscou est assourdissant. En effet, ces situations sont courantes en Russie, la plupart du temps les clubs viennent en soutien de leur joueur, pas cette fois-ci. D’ailleurs, les députés de la Douma s’emparent du sujet en expliquant que les joueurs russes du CSKA ou du SKA pourraient faire leurs services militaires au sein de ces équipes. En effet, elles sont liées à l’armée russe. Le pouvoir russe chasse ses jeunes joueurs et tente de les faire rester au pays. Une sorte de guerre larvée à travers le sport.
Cependant, tous les ans en Russie, du 1er avril au 15 juillet les bureaux d’enrôlement militaire font le point sur les jeunes en âge de faire leur service militaire. Ils envoient les convocations aux domiciles de ces jeunes. C’était le cas de Fedotov et Kaprizov, il leur est reproché d’avoir acheté une attestation de service militaire, les exemptant de fait. Les autorités s’en sont aperçues et ont décidé de les poursuivre. Il semblerait que Kaprizov et Romanov aient échappé à leurs arrestations.
En conséquence, les sportifs de haut niveau sont au centre d’un conflit qui ne les concerne pas ou peu. Ils en paient le prix. N’oublions pas que les carrières de hockeyeurs sont courtes, les ligues qui paient bien sont rares. Ces athlètes travaillent dur pendant des années pour arriver au haut niveau et s’y maintenir.
Aujourd’hui, les Suédois, Finlandais, Lettons qui ont le niveau pour jouer en KHL font face à une question d’ordre éthique et moral qui n’existait pas il y a encore quatre mois et demi. De l’autre côté, les joueurs russes sont talentueux et recherchés en NHL. Nous en voulons pour preuve le nombre de joueurs Russes présents en finale NHL : Vasilevski, Sergachev, Nichushkin, Kutcherov… tous pourraient être otage de ce conflit. Les jeunes le sont plus particulièrement, Kaprizov, Dadonov, Romanov pourraient sur le long terme être privés de jeu en NHL.
Au-delà des problématiques visibles, d’autres le sont moins l’une des conséquences de tout cela est un marché des transferts compliqué, notamment en Europe.
Des décisions politiques qui impactent le marché des transferts en Europe.
Tous les sportifs de haut niveau ont été impactés par la pandémie de Covid pendant deux ans. En ce qui concerne le hockey, en Europe, cela a rétréci le marché des transferts. De nombreux joueurs approchant la trentaine ont décidé de prendre leur retraite anticipée. Cela a amené un effet rareté sur le marché des transferts. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie a eu un effet accélérateur.
Prenons le cas de la ligue Magnus, depuis la fin de la saison, les observateurs sont surpris des recrutements. Il y a moins de joueurs nord-américains, les salaires et les conditions demandés sont bien plus élevés que les saisons précédentes. Un coach de Magnus nous explique « avant un joueur universitaire venait sans problème pour 12 000 € à 16 000 € net par saison. Cette saison, ils demandent plus, ne veulent pas de colocation et certains refusent même de jouer en France ».
Lorsque nous demandons pourquoi ? La réponse fuse : « Le covid a refroidi certaines ardeurs et notamment pour les voyages plus contraignants, le conflit en Ukraine aujourd’hui nous met en concurrence face à des ligues comme la Pologne, la Roumanie ou la Hongrie ». Sébastien Oprandi, général manager des Rapaces de Gap l’évoque dans notre interview en début de semaine.
L’un des contrecoups de ce conflit est la décision de ces ligues de ne pas accepter de joueurs russes. Quand bien même le niveau n’est pas celui de la ligue Magnus, les salaires sont très attractifs. L’absence des joueurs russes a permis à certains joueurs de se voir proposer de juteux contrats. Le meilleur exemple est celui d’Alexandre Boivin. Les Gothiques souhaitaient le garder. Il a reçu une offre d’un club en Pologne qui proposait deux fois ce que proposait Amiens. Les Gothiques n’ont pas pu s’aligner.
Par ailleurs, lorsque nous interrogeons les coachs de Magnus, tous sont unanimes : le marché des transferts est très compliqué cette saison. Les nord-américains sont plus réticents à venir en Europe. Probablement parce que la guerre est aux portes de l’Europe et le Covid avait déjà un peu éloigné les joueurs d’Amérique du Nord de l’Europe.
Ironie de l’histoire, le contingent de joueurs russe qui évoluera sur les glaces de ligue Magnus sera le plus important depuis la saison 1999 – 2000. A ce jour, nous avons d’ores et déjà dix joueurs de nationalité russe annoncés officiellement en ligue Magnus. Les Rapaces de Gap devraient annoncer un nouveau joueur russe prochainement.
Un observateur du hockey russe nous explique que « le hockey russe est en crise actuellement à tous les niveaux […] le niveau du championnat a baissé, le niveau des salaires est élevé mais les contraintes aussi. Les déplacements sont importants et cela use physiquement les joueurs ». Lorsque nous posons la question quels types de joueurs russes viennent en ligue Magnus il répond : « Ce sont des joueurs qui n’ont pas trouvé leur place en KHL, mais qui ne veulent pas jouer en VHL. Des joueurs en fin de carrière qui n’ont plus envie de subir les contraintes du championnat russe ».
La France est un pays agréable à vivre et les salaires proposés, autour de 2 000 € pour des joueurs russes, sont équivalents à ceux proposés en VHL sans la voiture et l’appartement quasiment automatique en ligue Magnus.
Cela amène une réflexion globale quant à la situation du hockey français. Il est primordial de former des joueurs localement afin de moins dépendre du marché international. A l’image de l’industrie pendant la période Covid et le besoin de relocalisation, le hockey français le subit actuellement sur l’aspect sportif mais aussi économique.
Un contrecoup économique
La décision d’exclure la Russie et la Biélorussie a pour conséquence, une réduction du marché global du hockey sur glace. La fédération de hockey sur glace russe est parmi les plus puissantes au monde, avec près de 100 000 licenciés. La Russie est (était ?) deuxième au classement IIHF et cette exclusion ne pourra pas durer éternellement.
A ce jour, nous n’avons aucune indication sur le retour de ces fédérations dans les championnats IIHF. C’est un sujet majeur que nous ne pourrons éviter.
Par ailleurs, pour les équipementiers, la Russie représente près de 25% des parts de marché. Selon nos informations, la conséquence directe est une augmentation du prix des équipements à travers le monde de l’ordre de 5 à 10% dans un premier temps. C’est une dépense indispensable et difficilement incompressible pour les clubs de hockey. Tous les équipementiers que nous avons interrogés en France sont unanimes : les prix vont monter. Mais pourquoi ?
Cette inflation a deux causes, la première est un rétrécissement du marché (pertes de marché), la seconde est que la Russie et l’Ukraine sont les principaux pourvoyeurs de matières premières dans la fabrication des équipements. Il y a un effet rareté sur le marché.
Autre conséquence qui touche l’ensemble des français, la hausse du prix de l’essence. Dans un championnat qui se déplace principalement par la route, nous estimons que les frais de déplacements pourraient également augmenter de l’ordre de 10-15% à minima.
Enfin, comme nous l’avons vu, le recrutement de joueurs étrangers coûte plus cher. Cela a pour conséquence d’augmenter les salaires de l’ensemble des joueurs. Depuis le début de la saison des transferts les salaires demandés sont plus élevés de 10 à 15% dans toutes les catégories de joueurs.
N’oublions pas qu’au salaire s’ajoute dans la majorité des cas un logement. Auparavant, pour un joueur universitaire, une colocation suffisait. Cette année, il n’est pas rare de voir des demandes d’appartement seul. Le coût des logements n’est pas le même pour les clubs, notamment dans les zones géographiques tendues comme Bordeaux ou Cergy-Pontoise. De plus, le recrutement de joueurs étrangers de qualité est nécessaire pour l’ensemble des équipes afin d’avoir un championnat sportivement qualitatif. Malheureusement, tous les clubs n’ont pas la possibilité d’augmenter leur masse salariale ni leurs budgets. Le coût global d’un recrutement est augmenté de 15 à 30% en moyenne.
Après un rapide tour d’horizon des clubs, Amiens, Anglet, Bordeaux, Angers, Nice et Grenoble verront leurs masses salariales « joueurs » augmenter pour la saison 2022-2023. Ce n’est pas le cas de Briançon, Cergy-Pontoise, Gap ou Mulhouse par exemple. Certaines équipes profitent d’effets d’aubaines et nous le percevons dans le recrutement. Sans aucun doute, Bordeaux profite des problèmes des Girondins de Bordeaux. Nous savons que la masse salariale de Bordeaux sera augmentée de 10% versus la saison passée.
Anglet et Nice profitent d’un retour de croissance en période post-covid avec des sponsors plus nombreux. Enfin, Angers et Grenoble grâce à un développement « business » intense voient leurs budgets exploser.
Les Ducs d’Angers devraient présenter un budget supérieur à 4 millions d’euros en 2022-2023, quant aux Brûleurs de loups le budget s’approcherait des 6 millions d’euros.
A titre de comparaison, la fédération française de hockey sur glace a déclaré un budget de 5.4 millions d’euros en 2021. Nous avons évoqué jusqu’à présent les conséquences directes à court, moyen et long terme de ce conflit entre l’Ukraine et la Russie. Il y a un dernier élément, les chocs organisationnels.
Des chocs organisationnels globaux et locaux
L’Ukraine et la Russie sont deux pays fortement impliqués dans le hockey européen et mondial. En effet, de nombreuses équipes à travers le monde utilisent les services d’une société qui s’appelle InsTat. C’est une société Russe qui propose un séquençage vidéo des matchs de hockey (mais pas uniquement) ainsi qu’une analyse statistique. Elle propose aux équipes des statistiques telles que les buts escomptés pour / contre, le Corsi.
Ses services sont utilisés en Europe comme en Amérique du Nord, les transactions se faisaient avant le 24 février 2022 sur des comptes russes. Ce n’est plus possible. Par ailleurs, de nombreux analystes étaient localisés en Ukraine. L’entreprise a dû, en toute urgence, protéger ses analystes. Trouver un système de paiement qui ne tombait pas sous le coup des sanctions. Certains de ses employés ont quitté la Russie peu après le début de la guerre.
En quelques jours, l’entreprise s’est adaptée. Le service n’a pas été interrompu, cependant à long terme est-ce que les équipes accepteront de travailler avec une société russe ? Est-ce que les équipes de ligue Magnus ont éventuellement un Plan B ? Si c’est le cas, cela aura un coût. En effet, InsTat est très apprécié en France pour son prix défiant toute concurrence.
Par ailleurs, un autre prestataire très utilisé par les équipes de Magnus a été impacté, il s’agit de SportContract. Cette société a de nombreux collaborateurs en Ukraine, ils ont dû se réorganiser. A noter que SportContract a un accord avec Fanseat pour proposer quelques statistiques pendant les retransmissions. Espérons qu’ils arrivent à maintenir le niveau de service. Est-ce que les équipes du championnat de France ont également prévu un plan B si le service n’est plus maintenu ?
Ce conflit entre deux nations importantes du hockey a et aura des répercussions sur le monde du hockey sur glace. En France, le hockey tente de se structurer, se professionnaliser pas à pas. Il doit faire face à une crise qui a une conséquence directe sur sa structuration. Sans équivoque, le renchérissement du matériel, des déplacements, des recrutements peut compliquer la structuration de certains clubs. Ce sont les clubs qui ont le moins de marge de manoeuvre.
Ceux qui n’arrivent pas à attirer des sponsors toujours plus importants ou qui font le choix de dépenser principalement sur le sportif en oubliant la structuration. Des arbitrages seront nécessaires au sein de ces clubs très rapidement. Lorsque le sport est mêlé à la politique, le grand perdant c’est le sport.
Espérons pour tous les sportifs que ce conflit puisse se régler rapidement. Nous ne manquerons pas de suivre les conséquences sur le hockey sur glace dès lors que nous aurons plus de visibilité.