Il y a quelques semaines, l’IIHF annonçait l’exclusion de la Russie et de la Biélorussie des différentes compétitions de hockey sur glace. Une rumeur évoquait la montée en élite de la France et de l’Autriche, cela a été confirmé par l’IIHF il y a quelques jours. Pierre-Yves Gerbeau a répondu à nos questions sur cette montée surprise et les impacts. Ses objectifs pour le hockey français.
Plan de Match : M. le Président, quelles sont vos premières impressions à la suite de la montée de l’équipe nationale de France en élite du hockey mondial ?
Pierre-Yves Gerbeau : C’est une très bonne nouvelle, nous n’avons pas pu défendre nos chances sur les deux dernières années à cause du COVID [en effet, les championnats du monde D1 ont été annulés pendant la pandémie]. Cela avait un impact sur le ranking et le « prize money » pour la FFHG. La punition de Kosice nous la payons, surpayons et payons encore. Cependant, il n’est pas question de fanfaronner parce que nous montons sur tapis vert et pas sur la glace, sportivement. Il ne faut pas célébrer outre mesure. Par ailleurs, vu les circonstances dramatiques de ce repêchage lié à l’exclusion des Russes et des Biélorusses du championnat du monde, il n’y a pas de quoi se réjouir. Maintenant, nous le prenons et c’est bien pour l’équipe de France, c’est bien pour nos internationaux.
Plan de Match : Pourquoi, selon vous, la Fédération internationale a mis du temps pour annoncer cette décision ?
Pierre-Yves Gerbeau : A titre personnel, j’avais des nouvelles par Luc Tardif parce que c’est vrai que ça aide d’avoir le président de l’IIHF comme ancien président de la FFHG. Nous avons toujours été proches. Cependant, cette décision implique énormément de conséquences. Tout d’abord, le système de montées et de descentes est impacté. Nous n’avons pas de vision claire pour le moment. Ce que je souhaite c’est que le désastre en Ukraine s’arrête le plus rapidement possible. Il ne faut pas oublier que des hommes et des femmes prennent des bombes sur la tête, mais aussi pour le monde sportif russe et biélorusse.
En effet, où et quand réintégrer les Russes et les Biélorusses dans les différents championnats. En prenant la décision d’exclure, l’IIHF a dû réfléchir à l’après mais aussi et surtout aux prochains championnats du monde élite en Finlande. Il était très difficile pour la Fédération internationale de jouer à quatorze, tous les billets ont été vendus, si aucune équipe n’était repêchée, l’IIHF perdait les revenus de quatorze matches de pré-vendus, ça parait compliqué. Ensuite, ils doivent respecter le contrat avec Infront, une grande agence de marketing, l’impact sur les droits TV…etc. C’est pour cette raison qu’ils ont pris leur temps. Il fallait trouver une certaine cohésion entre les différentes divisions. Il fallait aussi être cohérent avec les championnats du monde féminin, et pour nous c’est moins réjouissant car les féminines, elles, n’ont pas été repêchées. Il n’y avait qu’une place et au ranking, ce sont les Suédoises qui ont été promues. Je pense qu’il fallait que l’IIHF prenne son temps pour prendre en compte tous les impacts de cette décision à court, moyen et long terme.
Plan de Match : Vous évoquez le championnat du monde féminin qui aura lieu à Angers cette année, quel est l’impact ? Comment voyez-vous ce championnat
Pierre-Yves Gerbeau : En ce qui nous concerne, cela complique les choses d’organiser un championnat du monde à cinq. Tout comme nous, la Slovénie n’est pas satisfaite. Nous avions commencé à vendre des billets et mettre toute l’organisation nécessaire en place. Il nous a fallu revoir l’ensemble du calendrier avec une journée où l’équipe de France ne joue pas. Ce n’est pas idéal mais tout ça s’est fait sur rapidement en pensant à ce qui se passe à trois heures de Paris. Maintenant, quid de de la potentielle réintégration de la Russie et la Biélorussie dans les différentes divisions et catégories d’âge. C’est à mon sens le nœud du problème.
D’un point de vue sportif, nous avions une revanche à prendre sur le TQO où nous étions tout proche des Suédoises. Notre équipe nationale et le staff ont vraiment eu envie de prendre leur revanche. Cela nous fait une bien belle affiche en moins. Ensuite, sur les femmes, il y en a qu’une seule qui monte. Nous nous retrouvons dans la même problématique qu’avant. Mais encore une fois, la situation de l’IIHF est compliquée. Nous respectons. Mais effectivement organiser le championnat du monde à cinq, c’est un peu plus compliqué qu’à six. Mais nous allons le faire. Nous allons assumer.
Plan de Match : Potentiellement la Russie et la Biélorussie seront réintégrées dans les compétitions internationales dans quelques temps. Comment cela va se passer ? Dans quelle division pourrait-on les réintégrer ?
Pierre-Yves Gerbeau : Aujourd’hui, rien n’a été tranché du côté de l’IIHF. Nous n’avons pas la réponse. Je n’ai pas la réponse.
Plan de Match : A votre avis ? Si vous preniez la décision, comment feriez-vous ?
Pierre-Yves Gerbeau : La grande question c’est le championnat du monde de 2023 à Saint-Pétersbourg. L’IIHF n’a pas encore décidé de l’annuler, il est maintenu. L’IIHF se laisse un peu de temps avant de prendre cette décision. Je pense que c’est compliqué. De notre côté, nous nous sommes focalisés sur l’idée d’aider la famille du hockey ukrainien, nous avons évacué deux groupes de femmes et d’enfants ukrainiens joueurs et joueuses de hockey.
Nous avons accueilli un premier groupe de 32 personnes à Cergy-Pontoise la semaine dernière. Nous avons également 52 personnes, dont des familles des joueurs ukrainiens avec femmes et enfants, qui vont être rapatriés sur la Haute-Savoie. Nous allons les loger, s’occuper d’eux à long terme avec la région et le club de hockey de Chamonix-Morzine et de Saint-Gervais. Nous espérons vraiment qu’une solution pacifique va être trouvée rapidement. Accompagner ces familles nous fait toucher le drame humain qui se joue en Ukraine. Je coordonne personnellement toute l’organisation de rapatriement avec la secrétaire générale de la Fédération ukrainienne, qui est une femme formidable, qui passe ses journées et ses nuits à faire ça. Après, je ne suis pas politicien, j’ai la chance de m’occuper de sport et pas de géopolitique. Maintenant est-ce que c’est le peuple russe et biélorusse qui doivent porter la responsabilités des décisions inconcevables faites par leur politique ? Moi, je ne crois pas. Le sport ne doit pas être pris en otage.
Cependant, il faut savoir que le sport faisait partie de la politique de communication et de stratégie du président Poutine. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Ainsi, la suspension est normale, même si ce sont des sportifs qui sont punis. Si, comme on l’espère, toutes et tous, il y avait une solution pacifique trouvée très rapidement alors Saint-Pétersbourg 2023 pourrait peut-être se tenir. Nous pouvons penser que la Russie et la Biélorussie seront réintégrées. A quel niveau ? les réintégrer au plus bas niveau et aller faire un championnat du monde division 3B avec l’Argentine, le Mexique… est une ineptie. Doivent-ils être rétrogradés ou pas ? Là, il y a un vrai débat. De toute façon, ce n’est pas encore décidé. Je pense qu’il y a encore un débat d’urgence à l’IIHF parce qu’il faut que quelqu’un lève la main pour le championnat 2023.
A ce jour, il n’y a pas de candidat et même si nous en avions un, il y a aussi la question des deux pays qui vont descendre et ça veut dire qu’il y a deux pays qui pourraient candidater, sans finalement pouvoir organiser. Finalement, il n’y a pas beaucoup de candidats potentiels. Prendre la décision, au congrès de Tampere après les championnats du monde à moins d’un an. Cela me semble très compliqué à moins d’un an de l’échéance, sachant que quand nous avons organisé Paris-Cologne en 2017, nous l’avons appris quatre ans avant et ça a été compliqué. C’est un vrai casse-tête à court terme, l’organisation des championnats du monde groupe A en 2023.
Plan de Match : Qu’implique cette montée de la France au niveau sportif, économique et politique, pour la fédération et pour l’équipe ?
Pierre-Yves Gerbeau : D’un point de vue politique ? Rien. Encore une fois, nous nous sommes engagés à faire dans l’humanitaire aider les familles en danger. Je pense que ça reflète un petit peu nos valeurs, donc ça, c’est très bien. D’un point de vue économique, effectivement, il vaut mieux être en groupe A pour que ce soit les points de ranking, et la réputation du hockey français. Il était fondamental de remonter. Maintenant l’économie, ça va faire un peu plus de sous si nous arrivons à bien faire. Je pense que la priorité, surtout maintenant, c’est de ne pas descendre. Nous sommes dans le groupe avec des grosses équipes en haut et deux équipes qui sont sous pression : le Kazakhstan et l’Italie. Les deux, sont derrière nous au ranking, il va falloir assumer. Il est hors de question de refaire un Kosice.
Plan de Match : Kazakhstan et Italie, ce sont des équipes prenables ?
Pierre-Yves Gerbeau : Oui, mais ça joue. Il va falloir se battre face à des grosses nations parce qu’après le Kazakhstan, il y a le Danemark, la Suisse. Le Kazakhstan et l’Italie sont prenables. C’est du groupe A, ce n’est jamais gagné d’avance mais ne nous mentons pas, nous n’allons pas battre le Canada, la République Tchèque ou la Slovaquie. L’objectif est d’arriver bien, de se préparer correctement et d’essayer de battre le plus d’équipe possible, de tout faire pour rester. Ça c’est l’objectif.
Plan de Match : Quel processus faut-il mettre en place rapidement au niveau de la fédération pour se préparer au championnat du monde en Finlande ?
Pierre-Yves Gerbeau : De toute façon les joueurs étaient en préparation pour le groupe D1A, simplement, ça nous donne 15 jours de plus. Au lieu de faire un stage de préparation de 15 jours, nous aurons plus de temps, trois semaines de plus. Donc ça, c’est une bonne nouvelle. Économiquement, ça fait quinze jours de stage de plus, donc ça va avoir un impact. Mais comme je vous ai dit, l’argent, le « prize money » dans le groupe A est quand même supérieur. Si nous avons le bonheur de nous maintenir, ça devrait s’équilibrer. D’un point de vue de la préparation, il faut surtout organiser plus de matchs de préparation avec une échéance de 15 jours de plus.
Du côté des joueurs, la Ligue Magnus sera terminée tout comme les championnats étrangers, en KHL nous n’avons que Stéphane Da Costa, qui est blessé. L’impact est limité, ça nous permet de récupérer tous nos joueurs parce qu’on a plus de temps. Du côté de la NHL, il y a assez peu de chances à mon avis d’avoir Pierre-Edouard Bellemare parce que Tampa Bay, si ça ne va pas au bout, ça va au moins en demi-finale ou en finale.
Alexandre Texier, à qui j’ai parlé récemment, a toujours un problème de doigt. Il devrait repartir la semaine prochaine pour réintégrer Columbus. A priori, Columbus est loin des playoff donc nous devrions avoir Alex bien reposé parce qu’il a pris un mois de repos forcé à cause de son doigt et des soucis familiaux.
Stéphane on n’est pas sûr. Cela dépendra de son état de santé. Nous voulons avoir la meilleure équipe possible. Nous avions un projet ambitieux, sportif, que nous avions mis en place avec Phillipe Bozon à Kosice… Nous nous sommes liquéfiés contre la Grande-Bretagne. Mais nous avons un projet en place et les joueurs y adhèrent.
Maintenant, il faut savoir jouer sous pression. Je pense qu’il y a plus de pression pour jouer que pour remonter parce que c’était quand même compliqué. Il y avait la Slovénie, l’Autriche, même la Corée ou la Hongrie, qui est très ambitieuse. Jouer une remontée ça fait très longtemps que nous ne l’avions pas joué. Nos joueurs n’ont pas cette expérience. Par contre, ils l’ont fait pendant 14 ans. Il n’y a pas de raison, même si, comme vous dites, le Kazakhstan, c’est une équipe très expérimentée, qui a une nouvelle génération qui tient plus que la route. L’Italie, nous l’avons vu au TQO, ce n’est pas passé loin. Et on avait vraiment la meilleure équipe possible. Il faut espérer ne pas avoir de blessés pour commencer, ensuite qui et comment nous jouons sur la glace, ce n’est pas de mon ressort. Ce n’est pas en tant que président et avec ma carrière de joueur que je peux influencer les choses. Nous allons tout faire pour les mettre dans des conditions optimales. C’est à nos joueurs de mettre tout ce qu’il faut, courage et abnégation, sur la glace pour essayer de se maintenir. L’objectif est très, très clair, il faut se maintenir
Plan de Match : Objectif le maintien et n’est plus la montée. Peut-on dire que le coach Bozon a rempli son contrat pour la montée ?
Pierre-Yves Gerbeau : Pour commencer nous n’aurions pas dû descendre, tout le monde est face à ses responsabilités. Encore une fois, la gestion sportive a été aidée par notre DTN Christine Duchamp avec qui je travaille et avec qui j’ai une très, très, très, très bonne entente depuis bientôt quatre ans. Le maintien, c’est vraiment le minimum vital.
Minimum vital parce que la politique d’accompagnement financier est définie par Paris 2024 et l’ANS. Pour être vraiment accompagné, il faut être dans la famille olympique or ni les hommes, ni les femmes ne le sont et nous ne parlons même pas du fait d’être médaillables. Ce qui est compliqué pour le hockey. Je ne sais pas si, dans le temps qui me reste à vivre, nous serions en position d’être médaillables. Cependant, il nous faut des objectifs ambitieux et évoluer dans le groupe A est primordial.
A long terme, nous portons l’objectif top 8, plutôt que « bottom » 16. C’est cet objectif que l’équipe qui me soutient pour les élections de juin va porter. C’est un vrai changement, si ce n’est pas une révolution. Pour atteindre cet objectif, il faut se poser les bonnes questions. Il nous faut réfléchir différemment sur notre formation, le développement des jeunes et surtout le management du très haut niveau.