Photos : Najim Chaoui - Plan de Match
Emotions garanties au Centre Bell cette saison. Avec ce Canadien-là, on s’attache la ceinture, on se cale au fond du siège, et on accepte l’idée qu’on va enchaîner montées vertigineuses et chutes libres sans prévenir. En l’espace d’une semaine, l’équipe qui caracolait en tête de l’Atlantique s’est retrouvée embarquée dans la partie la plus brutale du circuit : trois défaites de rang à domicile, dont un 7–0 encaissé face à Dallas, un 5–1 contre Los Angeles, puis ce 3–2 au parfum de classique face aux Bruins, samedi soir, où le CH aura tiré 28 fois… sans marquer le moindre but en sept jeux de puissance.
Le bilan comptable, plutôt flatteur par rapport au début de la saison précédente, reste loin du crash total : 10–6–2 après 18 matchs, 60 buts marqués pour 62 encaissés, et une place encore dans la bonne moitié du peloton dans une division Atlantique qui ne pardonne rien. Mais l’impression laissée sur les partisans après cette séquence, c’est surtout celle d’un wagon qui vient de plonger d’un coup, après avoir frôlé le ciel.
Rappel : la première grande montée du manège
Pour comprendre où en est ce Canadien-là, il faut remonter au début du tour de manège. La saison 2024-25 a marqué le vrai premier « lift » du projet Gorton / Hughes / St-Louis : 40-31-11, 245 buts marqués, 265 encaissés, une qualification arrachée in extremis et une première présence en séries depuis 2021. Le tout avec l’effectif le plus jeune de l’histoire à atteindre les séries.
Sur le plan statistique, ce n’était pas encore le grand huit de luxe : une différence de buts encore négative, une équipe qui devait souvent surperformer en fin de match ou sur séquence pour compenser ses trous d’air défensifs. Mais on avait enfin quitté la zone des manèges pour enfants pour monter dans quelque chose qui ressemble à un vrai roller coaster : vitesse plus élevée, drop plus profond, frissons garantis.
C’est ce contexte qui rend le début de saison 2025-26 aussi fascinant. On ne repart pas de zéro, on repart d’une structure qui a déjà prouvé qu’elle pouvait tenir la pression d’une course aux séries jusqu’en avril. La question n’est plus « le CH peut-il exister ? », mais « le CH peut-il stabiliser ses émotions et ses performances sur la durée ? ».
Un départ canon… comme une montée à la verticale
Le début de saison a ressemblé à cette montée à la verticale qui te colle le dos au siège. Après un premier revers à Toronto, le CH a enchaîné les victoires : 8–3–0 en octobre, puis un 10–3–2 après avoir atomisé Utah 6–2 au Centre Bell. On parlait alors d’un Canadien installé en haut de l’Atlantique, d’une équipe qui marquait en moyenne un peu plus de 3,3 buts par match pour 3,4 encaissés, bien plus prolifique offensivement que celle de la saison précédente (environ 3 pour, 3,2 contre).
Visuellement, ça se sentait : le trio de tête autour de Nick Suzuki et Cole Caufield menait la danse, les sorties de zone étaient plus propres, le puck passait beaucoup moins de temps coincé dans le territoire défensif, et l’équipe trouvait des manières variées de marquer. On sortait du jeu en U triste des années de reconstruction pure : ça pinçait en soutien, ça coupait au centre, ça jouait sur deuxième vague. Bref, on avait enfin l’impression que le CH n’était plus condamné à vivre uniquement de buts en contre-attaque et de soirs miraculeux de ses gardiens.
Ce qui rend la chute actuelle aussi brutale, c’est précisément ce contraste. Plus la montée est haute, plus le plongeon te remue l’estomac.
Trois défaites, trois sensations de chute libre
La première secousse arrive le 11 novembre. Les Kings débarquent au Centre Bell, et en quelques minutes dans le deuxième tiers, ils font exploser les boulons du wagon montréalais : trois buts en 4 minutes 05, un match qui bascule d’un 1–0 encourageant à un 3–1 puis 5–1 sans que le CH ne trouve le frein d’urgence. Josh Anderson sauve l’honneur, mais le six-matchs de suite avec au moins un point s’arrête net.
Deux jours plus tard, Dallas coupe le souffle du manège : 7–0. Un score qui fait mal partout. Dobes est sorti après cinq buts sur huit tirs, Montembeault encaisse deux autres filets, et Montréal, qui menait encore l’Atlantique quelques jours plus tôt, encaisse sa pire défaite de la saison et son premier blanchissage subi. C’est la descente en chute libre, celle où tu ne vois plus rien, où seul le hurlement du public couvre le bruit du train.
Face à Boston, samedi, on aurait pu imaginer une sortie de virage. Le contenu est meilleur, le CH décroche une tonne de supériorités numériques, Caufield inscrit son 13e but de la saison, Evans marque même en infériorité. Mais le scénario du match résume parfaitement la partie sombre du roller coaster : 0 sur 7 en avantage numérique pour Montréal, 7 sur 7 en désavantage pour Boston, et une défaite 3–2 qui laisse l’impression d’avoir tout donné… sans récompense.
Résultat : trois défaites de suite, toutes au Centre Bell, un différentiel de buts qui retombe dans le négatif (60–62), une séquence historique de 13 buts concédés consécutivement sans marquer et, surtout, la sensation pour les partisans d’être passés en quelques jours de « on est de retour pour de bon » à « on est redevenus fragiles ».
Les recrues dans les loopings
Sur un roller coaster, le wagon de tête voit arriver les bosses avant tout le monde, mais ce sont souvent les wagons du milieu et de l’arrière qui souffrent le plus dans les virages. Pour le Canadien, le wagon de tête reste tiré par Suzuki, Caufield, Hutson et quelques cadres déjà installés. Eux continuent, globalement, à produire. Le problème, ces derniers jours, se situe surtout dans les wagons des recrues et des ajouts récents.
Certaines recrues offensives ont brillé par séquences en début de saison, profitant d’un power play plus inspiré et d’un rythme de match où le CH imposait ses tempos. Mais dès que la pente s’est inversée, on a revu des réflexes de jeunes joueurs : décisions tardives à la ligne bleue, tirs refusés pour une passe de trop, difficulté à gagner les batailles dans le trafic quand le score tourne mal.
À ça s’ajoute un facteur souvent sous-estimé dans la lecture brute des stats : les blessures. Alex Newhook, qui avait signé 12 points en 17 matchs et s’était imposé comme un moteur secondaire de l’attaque, sera absent quatre mois après une opération à la cheville. Kaiden Guhle, pilier du top-4 défensif, manquera encore plusieurs semaines après une opération aux adducteurs.
Sur le tableau blanc, ça se traduit par des minutes supplémentaires pour des recrues ou des jeunes défenseurs qui n’étaient pas forcément censés avaler ce volume tout de suite. Dans un moment où l’équipe est déjà secouée par trois défaites, c’est comme ajouter deux loopings consécutifs au tracé : mécaniquement, ça augmente les chances que quelqu’un lâche la barre pendant quelques instants.


Un power play qui décroche du rail
L’autre grande explication de cette descente récente, c’est l’avantage numérique. À l’échelle de la saison, le CH n’est pas catastrophique en power play, mais dans une ligue où la marge se joue souvent sur trois ou quatre unités spéciales par soir, la séquence actuelle fait tache.
Contre Boston, impossible de passer à côté : sept opportunités, zéro but, et surtout l’impression que plus le match avançait, plus le Canadien s’éloignait de ses automatismes. Tir tardif, trafic mal synchronisé devant le gardien, zone offensive mal installée : on était loin des sorties de virage fluides aperçues en octobre.
Ce power play en panne est d’autant plus problématique que, sur les dernières saisons, Montréal a rarement été une équipe dominante à 5 contre 5. La progression de 2024-25 s’était justement construite sur un meilleur équilibre des unités spéciales et une capacité à marquer au bon moment. Quand la structure se dérègle, l’illusion de contrôle s’évapore, et le manège redevient subi plutôt que choisi.
Montembeault, Dobes et la frontière entre espoirs et frissons
Impossible de comparer deux saisons du Canadien sans faire un tour par le stand des gardiens. En 2024-25, Samuel Montembeault, c’est un peu le type qui tient le frein du wagon pendant que le reste du manège est encore en rodage : des chiffres bruts juste au-dessus de la moyenne, mais des métriques avancées qui le propulsent parmi les meilleurs de la ligue en buts sauvés au-delà des attentes (GSAx) à 5 contre 5, dans le top 15 selon Evolving-Hockey. Dobes, lui, débarque comme une nouvelle attraction qui fonctionne tout de suite : 7–4–3, une moyenne de buts alloués de 2,74, un pourcentage d’arrêts à .909, profil de rookie solide qui donne l’impression que la file d’attente devant le stand des gardiens va être longue pour les années à venir.
Et pourtant, sur l’ensemble de la saison, le parc reste bancal : trop de départs de match où le wagon décroche dès la première descente, trop de tirs de grande qualité concédés en plein cœur du slot, trop de séquences où la défense, encore très jeune, traverse la patinoire comme un visiteur perdu dans une maison hantée, toujours une seconde en retard pour fermer la bonne porte.
En 2025-26, le duo arrive avec un statut consolidé, comme deux attractions officiellement installées au milieu du parc… mais les chiffres racontent pour l’instant une histoire tordue, façon grand huit qui secoue plus que prévu. Le pourcentage d’arrêts d’équipe tourne autour de .882, en baisse par rapport à l’an dernier, alors que le fameux PDO grimpe au-dessus de 100, gonflé par un pourcentage de tirs offensifs en surchauffe. La sensation, en comparant les deux saisons, est presque paradoxale : en 2024-25, le gardien tenait souvent la baraque pendant que le reste de l’équipe apprenait encore à se repérer dans le plan du parc. En 2025-26, Montembeault et Dobes voient moins de tirs, la structure devant eux est un peu mieux dessinée, mais ils n’ont pas encore retrouvé ce niveau de suppression de buts attendus qui transformait chaque arrêt en sortie de virage propre. L’attaque, elle, compense par une efficacité qui ressemble davantage à un tour de manège truqué qu’à une norme tenable sur 82 matchs.
Le soir du 7–0 contre Dallas, tout ça explose en pleine figure comme un train fantôme qui se serait transformé en véritable cauchemar : Dobes submergé dès les premières vagues, Montembeault qui entre dans un contexte impossible, et un match qui tourne très vite à la correction violente. C’est exactement le genre de choc qu’une équipe construite sur un équilibre aussi fragile entre grand huit offensif et maison hantée défensive finit, tôt ou tard, par encaisser.
Les émotions : le vrai carburant des montagnes russes
Mais au-delà des chiffres, ce qui fait du CH un roller coaster permanent, ce sont surtout les émotions. Ce club joue dans un marché où chaque montée est vécue comme une renaissance et chaque descente comme un drame national. On passe, en quelques matchs, de threads sur X (Twitter) expliquant pourquoi Suzuki mérite d’être dans la conversation du Selke, trophée remis au meilleur attaquant défensif, à des segments de radio sportive se demandant si la reconstruction n’est pas déjà en train de dérailler.
La série de victoires d’octobre a nourri des espoirs parfaitement humains : ceux de revoir un printemps bruyant, de se dire que les années de souffrance avaient servi à quelque chose. La série de défaites de novembre, elle, vient réveiller les vieux traumatismes récents : les 7–0 encaissés, on connaît, les matchs où le CH s’écroule en quelques minutes, on en a vu trop.
Et pourtant, c’est aussi pour ça que les partisans continuent de monter dans le wagon. Parce qu’avec ce Canadien-là, les émotions fortes sont garanties, dans un sens comme dans l’autre. La joie est démesurée quand ça marche, la frustration est totale quand ça casse, mais l’indifférence, elle, n’existe pas. Ce n’est pas une petite attraction tranquille où l’on regarde sa montre entre deux virages ; c’est un manège où chaque soir semble compter un peu trop.
Sous la structure, la progression
Si on prend un peu de hauteur, en sortant du manège pour regarder la charpente, l’image reste pourtant celle d’une progression globale. En deux saisons, le CH est passé d’une équipe qui terminait systématiquement dans les bas-fonds de la ligue à un groupe qui a obtenu 91 points, une place en séries, puis qui tient un rythme de plus de 90 points sur ce début de campagne malgré une séquence noire.
La différence de buts, encore légèrement négative après 18 matchs, est loin du gouffre de certaines années récentes. Les modèles de projections, comme ceux de MoneyPuck, continuent de placer le Canadien autour de 50 % de chances de participer aux séries, en gros à la frontière entre le dernier wagon qualifié et le premier recalé. Ce n’est plus la loterie, ce n’est pas encore la sécurité absolue : c’est exactement ce moment où le coaster a terminé sa première grande montée, mais où on n’a pas encore totalement vu le reste du parcours.
S’accrocher à la barre de sécurité
La vérité, c’est que la reconstruction n’a jamais été vendue comme une ascension linéaire. On ne grimpe pas gentiment, marche après marche, vers le statut de contender. On enchaîne les drops, les loopings, les virages qui font douter de la solidité de la structure, puis on se rend compte, quelques années plus tard, que le rail était bien posé depuis le début.
Cette semaine de trois défaites consécutives – 5–1 contre les Kings, 7–0 contre les Stars, 3–2 contre les Bruins – est une de ces descentes qui donne la nausée aux partisans. Elle met en lumière les limites du groupe, la fragilité mentale d’un noyau encore jeune, le manque de constance de certaines recrues et les trous dans l’alignement causés par les blessures.
Mais elle ne doit pas faire oublier le reste du parcours : le bond en avant de 2024-25, le départ canon de 2025-26, le fait qu’à mi-novembre, le Canadien est encore dans la conversation, là où, il n’y a pas si longtemps, la saison était déjà pliée à Noël.
Avec le CH version 2025-26, on ne signe pas pour un tour de grande roue, lent et prévisible. On signe pour des montagnes russes. Les partisans le savent, les suiveurs aussi : il y aura d’autres montées, d’autres descentes, d’autres soirées où le Centre Bell sera en apesanteur.
La question, pour la suite, n’est pas de savoir si le manège va encore secouer. C’est de voir si, cette fois, en avril, quand le train freinera doucement en fin de parcours, le Canadien sera encore sur le rail des séries. Et si, malgré les loopings et les drop de novembre, tout le monde aura tenu bon, solidement accroché à la barre de sécurité.
