Avant un nouveau derby des Hautes-Alpes ce soir, nous en avons profité pour interroger Jérôme Escallier président des Rapaces de Gap. Tour d’horizon du passé, du présent et du futur des Rapaces de Gap. Sa vision de la ligue, la fusion avec Briançon et les liens avec les Spartiates de Marseille, il nous dit tout.
Plan de match : Comment jugez-vous cette première moitié de saison ?
Jérôme ESCALLIER : Elle est plus que satisfaisante ! Si on fait un ratio, c’est le chef d’entreprise qui parle, entre le budget et le classement, on est au double de ce qu’on devrait être. Notre objectif affiché, c’est la qualification pour les playoffs. On est 4èmes à l’issue de la première moitié de la saison. C’est d’autant plus satisfaisant qu’après un très bon début de saison, l’équipe a souffert mais a su revenir et faire de très bons résultats. Au-delà, du championnat, le seul potentiel des Rapaces, c’est de faire un coup d’éclat en Coupe de France. On est de nouveau en demi-finale avec un tirage plutôt clément sportivement. Financièrement le quart de finale à la maison a été apprécié avec une bonne recette supplémentaire.
La grosse satisfaction, c’est le retour du public en masse. Ça faisait très longtemps qu’on n’avait pas vu la patinoire pleine et ça fait plaisir. Ça représente un grand bol d’air financièrement par rapport au prévisionnel. On a aussi du public qui vient parce qu’on se professionnalise grâce à l’animation d’un DJ, la location de salle pour les buvettes, etc… On a quand même beaucoup de coûts, on communique plus, pour faire venir les gens. Ce n’est pas que de la recette, mais ça marche.
Plan de match : A peu près à mi-saison, est-ce que cette équipe a besoin d’être renforcée ?
JE : L’équipe en elle-même non ! Je n’en vois pas l’utilité. La seule utilité que je vois, c’est des blessures à cause de la profondeur de banc qui n’est pas énorme. Une grosse blessure peut nous pénaliser. Hormis ce genre de problème, en tant que président, je ne ferai rien dans l’attente d’une hypothétique qualification pour la finale de Coupe à Bercy. J’attends le 4 janvier pour décider si je bouge. De toute façon, on a jusqu’au 31 janvier pour bouger.
A Gap, on a toujours bougé sur une opportunité : sur blessure, on va chercher un joueur, ou un joueur libre qui ne peut pas se refuser, comme Toto Rech en 2016 qui t’appelle pour te dire qu’il est disponible. Tu le prends et tu es champion ! Aujourd’hui, on ne cherche pas à se renforcer, mais on regarde les opportunités. On verra…
Plan de match : D’où vous vient la passion de votre engagement à la tête du club ?
JE : (toussotements)… Déjà, j’ai joué au hockey ! Je n’ai pas été un grand joueur mais je connais le hockey. J’ai toujours suivi. Je me suis un peu éloigné pendant mes études. Je m’y suis remis. La passion me vient des émotions que ça procure, 2 titres de champion, une Coupe de la Ligue, 2 finales de Coupe de France. C’est des émotions à chaque fois et je fonctionne beaucoup à l’émotion. Les gens qui sont autour de moi savent que je suis très émotif, c’est ce qui me plaît et c’est ce que procure le sport. J’en ai besoin pour m’épanouir aussi. Mes activités professionnelles grandissantes font que je pense à arrêter. J’avais même annoncé que j’arrêtais mais, depuis cette annonce, je n’y arrive pas ! Je n’arrive pas à me détacher du hockey. Mes enfants y jouent. Je suis passionné par mes gosses et je souhaite qu’ils fassent leur chemin et construisent leur personnalité sans être étiquetés « fils du président ». Arthur est donc parti à Marseille, c’est très bien, et je ne m’immisce pas dans ses affaires. Pour en revenir à mon engagement, avec 2 enfants qui jouent au hockey dans la famille tout tourne autour du hockey, même si ça fatigue parfois ma femme mais elle fait avec. La passion est toujours là et elle s’entretient.
Plan de match : Vous souffrez pendant les matchs ?
JE : De moins en moins ! Enormément au début ! J’arrive maintenant à me détacher du résultat sportif. Depuis 2 ou 3 ans, je parviens même à ne pas regarder un match sur Fanseat si je suis invité par des amis. Avant, j’étais accro. J’étais à table avec les amis et mon téléphone appuyé contre le verre… J’arrive à me détacher même si ma montre m’affiche le flash résultat. Par contre, récemment, chez des amis, ma montre me dit qu’on mène à Angers 2-0 et je n’ai pas pu résister à regarder le match sur mon téléphone… On perd le match mais ça ne m’a pas dérangé. Perdre avec les honneurs ne me dérange pas. Perdre la finale de la Coupe de France telle qu’on l’a perdue, dans ma tête on l’a gagnée ! On a fait tout ce qu’on pouvait, ça s’est joué à la loterie de la prolongation. Peu importe, on a fait le job contre une équipe 2 à 3 fois supérieure à la nôtre. C’est comme battre Grenoble à Gap, c’est juste énorme !
On essaie de faire en sorte que les joueurs soient dans les meilleures conditions possibles, que l’équipe soit la plus homogène possible. Dans mon management, Sébastien et Eric ont 100% des pouvoirs. Je pars du principe que je ne comprends pas grand-chose au hockey. Par contre, Eric BLAIS, qui est payé comme coach de hockey, c’est lui qui doit savoir. Sébastien OPRANDI présente la particularité d’avoir la connaissance du hockey et d’être gestionnaire. Je me repose donc sur ces gens-là et ça se passe bien.
Plan de match : Il y a 3 ans ½, je vous entends encore dire que vous vouliez que le club soit champion de France de la bonne gestion…
JE : Eh bien, c’est fait ! En 2017, heureusement qu’on gagne le titre… On garde Luciano Basile deux saisons de plus, deux saisons catastrophiques financièrement qui nous coûtent de l’argent et je demande aux actionnaires de remettre collectivement au pot 140 000€ plus le capital. Au passage, on se sépare de Luciano Basile, ce qui m’a été reproché, mais c’est un choix effectué en toute connaissance de cause et, de toute façon, on n’aurait pas été champion à nouveau. Je jugeais irresponsable de ne pas renforcer la structure au regard des exigences de la Fédération et de la CNCG. Sans ça, on ne serait plus là, le club serait mort. On a redressé 140 000€ de dettes, on est remontés au-delà de notre capital, on a su passer le Covid presque sereinement. Financièrement, aujourd’hui, on est solides, l’entreprise est bonne, on a de la trésorerie, on paye les joueurs sans problème à la bonne date. Le pire qui me soit arrivé, sous Luciano, c’est de devoir m’adresser aux joueurs pour leur dire qu’on ne leur versait que la moitié du salaire ce mois-ci et que le reste serait versé après avoir joué 2 ou 3 matchs car la trésorerie était insuffisante. Je ne le veux plus !
Mon rôle de dirigeant de l’entreprise, c’est de me dire que si je recrute, ça me rapporte quoi ? Qu’est-ce que vais aller chercher ? Est-il rentable d’aller chercher une Coupe de France ? Financièrement, non ! En termes d’image du club, oui… C’est pour cette raison qu’après le 4 janvier, je réfléchirai si on sent qu’on peut remporter la Coupe de France ou sortir sans avoir de regrets.
Le pari qu’on a pris, comme beaucoup d’autres clubs, c’est la formation parce que c’est la seule façon de survivre en Magnus aujourd’hui. On n’a pas les moyens de se payer des gros joueurs et on n’aura plus ces moyens-là. Lorsque je reprends le club en 2011, le budget est de 800 000€, mineur inclus. En 2017, quand on est champions, le budget est de 1,6 M€ plus 300 000€ du mineur… En 2022, on a un petit 1,4 M€ de budget sans espoir d’avoir davantage.
Plan de match : Quel avenir pour les Rapaces avec 1,4 M€ de budget ?
JE : (Il se tapote la tempe avec son index) En sport, l’argent ne fait pas tout, c’est ma devise ! La preuve, on a battu Grenoble une fois et ils vont nous battre 3 fois certainement, mais on les a battus. L’argent ne fait donc pas tout ! On est en demi-finale de la Coupe de France, on est 4èmes du championnat, on est devant des gens qui ont bien plus d’argent que nous. L’argent fait beaucoup, mais pas tout. Il faut être intelligent, optimiser les choses, donner une ambiance. Je suis très émotif et ça se ressent dans mon équipe, dans la gestion du club. On a un club très familial et, pour un jeune qui veut se développer, honnêtement, c’est Gap le meilleur potentiel. La preuve en est pour Julian Junca qui joue en équipe de France. Il en est le gardien titulaire et le sera certainement dans les années qui viennent alors qu’il n’était qu’un jeune espoir quand on l’a recruté. Il était un numéro 2, on ne savait pas ce qu’il ferait. Aujourd’hui, il est largement numéro 1 et, j’espère pour lui, il va avoir des propositions beaucoup plus intéressantes que ce qu’il a à Gap et ce qu’on peut lui proposer.
Grâce au noyau de joueurs qu’on a su conserver, « nos anciens », les Gutierrez, Bos Golicic… On a besoin de ces anciens pour faire progresser nos jeunes. C’est une bonne alchimie qui fonctionne bien. Je tire donc autant de satisfaction de la réussite de Julian, aujourd’hui, mais aussi d’autres joueurs passés par chez nous, que d’un titre de champion de France !
Plan de match : A quel moment on commence à préparer la saison suivante ?
JE : Ça fait déjà un petit moment… Il y a déjà des propositions qui partent ! Quand tu es 4ème et que les gens savent que tu paies tes joueurs, sans pour autant les surpayer, mais de manière certaine, que tu leur apportes un développement, un confort de vie : un jeune comme Colombin, à Gap, c’est une petite star ! Quand il se promène dans Gap, c’est un joueur de hockey, on le reconnaît. Le club est emblématique à Gap, tu es aimé, tu es chéri. Joubert avant lui, et plein d’autres ! Damien Fleury, quand il prend le bus à Grenoble, je pense que personne ne lui dit bonjour… Gutierrez, sur le marché à Gap, il est reconnu, les gens lui disent bonjour : c’est une reconnaissance, un confort et c’est important. Donc, la prochaine équipe se construit déjà maintenant ! Les choix et axes de travail sont les mêmes : pourquoi changer une formule qui marche ? Les réunions en vue de la saison prochaine vont commencer incessamment.
Plan de match : L’articulation avec le mineur est-elle satisfaisante ?
JE : Elle n’est jamais satisfaisante ! Dans le sport, on ne peut jamais se satisfaire de ce qu’on forme. On doit arriver à faire ce centre de formation U20, les professionnaliser et que les U20 soient autour de l’équipe pro. C’est financièrement compliqué, et pourtant ça passe par là, mais il faut qu’on y aille, qu’on y arrive. Le projet de centre de formation à Gap est peut-être aussi vieux que le projet de fusion avec Briançon, mais il faut vraiment y arriver.
Concernant la fusion, c’est un vieux rêve, on n’y arrivera jamais même si je pense que ce serait bien pour le département. Il y a trop de passions. Pourtant, on pourrait jouer 5 matchs à Briançon et les autres ici. Tu peux avoir une équipe de D1 là-haut pour faire jouer et développer les jeunes.
Plan de match : Et Marseille ?
JE : Actuellement, Marseille c’est très bien mais, un jour, ils auront la capacité de monter en Magnus avec l’outil et le potentiel qu’ils ont, on le sait ! Ils monteront et ils seront forts, ils seront nos concurrents et non plus des associés. Ils font déjà tout ce qu’il faut avec la communication, les places offertes. Mais ils ont un problème : l’OM ! Il faut qu’ils fassent leur place. On a la chance d’avoir un sport méconnu mais hyper spectaculaire. De plus, ils commencent à faire de la formation : on a à Gap un de leur gardien U15 qui fait partie des meilleurs gardiens de la région Sud-Est. Ce n’est pas le sport local mais ils font ce qu’il faut. Ils n’attendent pas que les gens viennent, ils les attirent. Notre force, à Gap, c’est nos cinq loges qui attirent des gens qui n’ont pas forcément la connaissance du hockey qui est un sport fabuleux et particulièrement spectaculaire. Après avoir assisté à un match en tant qu’invités, ils veulent revenir et même de loin. Le hockey est le 3ème sport le plus connu au monde, mais c’est en Amérique du Nord, en Europe du Nord et de l’Est où le hockey est un sport majeur. Il faut le temps pour le découvrir en Europe occidentale et du Sud. C’est difficile et coûteux de filmer un match de hockey mais on y arrive. Il faut laisser le temps au temps.
Plan de match : Votre ambition pour les Rapaces ?
JE : Aucune ! Rester en Magnus, bien placés, faire notre travail, développer des jeunes, développer des joueurs. Rester une place forte du hockey et que toutes les équipes craignent de jouer contre nous ! Même si on perd, ce n’est pas grave mais qu’ils viennent avec la crainte. Pas comme Briançon où, malheureusement, les équipes y vont avec la certitude trop facile de prendre 3 points. Ici, à Gap, toutes les équipes qui viennent ont peur, Grenoble inclus, Rouen inclus, Angers inclus ! Ça c’est fort et c’est ma seule ambition ! On n’a pas l’ambition d’être champions : le budget de Grenoble est 4 ou 5 fois le nôtre… Ce n’est plus possible de lutter aujourd’hui, l’argent ne fait certes pas tout mais un peu quand même. Je ne crois pas à un titre de champion de France mais à des coups, une année en Coupe de France. Ma grande fierté, c’est entendre un coach déclarer qu’il descend à Gap et ça ne va pas être facile… Tant qu’on fera cet effet, on gagnera des matchs, on en perdra, on sera en playoffs. Et si, une année, on est en playdowns, on les jouera ! Le tout, c’est de ne pas descendre. Si un jour on descend, on ne remontera… (il s’interrompt) plus, je pense ! Le passage de 44 matchs à 26 et la réduction des recettes qui va avec ne nous permettra plus de remonter. Mais on n’est pas encore descendus en D1 ! On doit être inventifs, avancer différemment des autres, miser sur les jeunes en les entourant de vieux guerriers aguerris et expérimentés tels Speedy Rohat.
Plan de match : Comment avez-vous vécu les « affaires » d’un concurrent direct récemment révélées par la presse ?
JE : Mal ! La seule solution, c’est la transformation de ligue Magnus en une ligue fermée : pas de descentes, pas de montées. Quand une équipe se voit disputer les playdowns et affronter une potentielle descente, il y a la tentation de recruter un ou 2 joueurs pour se sauver au détriment de la bonne gestion. Dans une ligue fermée, même si tu termines dernier, tu as la certitude de revenir la saison suivante et espérer figurer mieux.