Suite à la publication de mon article sur l’état actuel de l’arbitrage en Ligue Magnus et de ses carences, Pierre Racicot, directeur de l’arbitrage français, a souhaité échanger à ce sujet. Loin du célèbre droit de réponse ou d’un communiqué officiel, c’est une vraie discussion qui s’est engagée.

Pendant plus d’une heure et demie, j’ai eu face à moi un homme souriant, à l’écoute et visiblement prêt au dialogue. Mais si l’échange fut cordial et l’homme ouvert, le gestionnaire qui se cachait derrière le sourire, lui, est resté inflexible. Pierre Racicot a donc dressé un constat sans concession, tiraillé entre des ambitions de professionnalisme et une réalité qui fait obstacle.

I-L’argument du coût financier

Le plus gros obstacle reste le passage au statut professionnel. Face à notre proposition de salarier un noyau dur d’arbitres, Pierre Racicot tranche par l’argument comptable, chiffres à l’appui.

Selon lui, le coût d’un salarié en France est un frein majeur pour la Fédération. Il pointe du doigt les charges sociales qui doublent quasiment la facture. Concrètement, pour verser un salaire net de 40 000 € (le minimum pour qu’un arbitre ne fasse que ça, et pour attirer de « vrais pros »), la Fédération devrait débourser 80 000 €. Une estimation que nous avons vérifiée : le coût réel pour l’employeur tournerait effectivement autour de 73 000 € à 75 000 €.

Mais le salaire n’est pas la seule dépense. Il faudrait aussi payer un manager pour gérer l’équipe, et financer environ 260 déplacements par saison (trains, hôtels, repas). Nous avons fait les comptes : en additionnant le coût total des six arbitres (près de 490 000 €, l’État ne faisant pas de cadeau fiscal à ce niveau de salaire), le manager (environ 60 000 €), les frais de transport (plus de 65 000 €) et une marge de sécurité, on arrive très vite à 650 000 €. Le chiffre de 700 000 € annoncé par Pierre Racicot n’est donc pas si éloigné de la réalité.

Pour appuyer son refus, le dirigeant compare la France à ses voisins. L’Allemagne ou la Suisse disposent de budgets d’arbitrage entre 1,5 et 2 millions d’euros. Rien à voir avec nos moyens. Il en profite aussi pour préciser un point sur l’Amérique du Nord : le salariat à temps plein est une exception, pas la règle. Même l’AHL, la ligue juste en dessous de la NHL, ne fonctionne pas avec 100 % d’arbitres salariés. Hormis ceux déjà sous contrat NHL « two-way » (payés par la ligue majeure pour se développer), la plupart sont payés au match, sans la sécurité de l’emploi.

Son constat est simple : si la deuxième meilleure ligue d’Amérique du Nord ne peut pas se payer uniquement des pros à temps plein, la Ligue Magnus ne le peut pas non plus.

Gagner plus en restant amateur ?

En plus du coût pour la Fédération, Pierre Racicot tente de convaincre les arbitres que le statut professionnel serait, en fait, moins rentable pour eux individuellement. Pour le prouver, il sort sa calculatrice et compare le « reste à vivre ».

Il met en parallèle l’enveloppe perçue par un arbitre de Ligue Magnus aujourd’hui (environ 575 € pour un Head sur un week-end complet, plus 150 € pour les déplacements supérieurs à 250 km) avec les salaires pratiqués en ICEHL (la ligue autrichienne). Son constat est purement fiscal. En Europe, un arbitre salarié voit sa rémunération amputée par l’impôt et les charges. En France, le statut arbitral bénéficie d’une « niche » : les indemnités sont défiscalisées (dans la limite d’un plafond annuel et avec des barèmes kilométriques avantageux).

Le résultat du calcul de Racicot est qu’une fois tout déduit, un arbitre français touche un net par match très similaire, voire supérieur à certains de ses collègues européens.

Son message à ce sujet est donc clair : il ne faut pas trop se pencher sur un réel statut professionnel mais plutôt regarder une réalité financière qui est selon lui le modèle le plus optimisé pour le hockey français.

II-Les paradoxes : une attitude pro sans le statut

Si l’obstacle financier semble impossible à dépasser, Pierre Racicot n’entend pas pour autant baisser ses standards. Le malaise entre donc maintenant dans la danse puisque la direction arbitrale refuse le statut salarié pour raisons économiques mais exige malgré tout une rigueur absolue sur la glace. Pour lui, il n’y a pas d’entre-deux possible.

Il affirme haut et fort : « Un pro, c’est aussi quelqu’un dont c’est le deuxième emploi. Ce n’est pas un passe-temps ». Quand on lui oppose la fatigue cumulée de ceux qui travaillent la journée et arbitrent le soir, il balaye l’argument. Pour lui, « c’est un choix que chaque individu fait ». Il n’hésite pas à comparer leur sort à celui des joueurs qui dorment dans les bus lors des longs déplacements : cette difficulté fait partie du contrat. On assiste donc à une forme de dissonance : la Fédération demande une responsabilité de niveau professionnel à des acteurs qui restent au bout du compte bien des indépendants.

 

La jeunesse prime sur l’expérience

Pour pouvoir obtenir cette discipline et ce professionnalisme, la stratégie de la fédération est tout simplement de faire l’opposé de notre proposition, pourtant approuvée par 100% des acteurs sondés. Là ou nous suggérions de recruter d’anciens joueurs de Magnus pour leur sens du jeu et leur expérience, la direction mise sur la jeunesse. Mais pourquoi se priver de l’expérience d’anciens pros ? Parce qu’il estime qu’il faut 50 à 60 matchs pour bien former un arbitre. Il juge plus facile de formater un jeune de 20 ans dont l’avenir en hockey professionnel n’est pas tout tracé aux procédures de l’IIHF que de déconstruire les habitudes d’un ancien.

Il cite d’ailleurs fièrement l’exemple d’un match récent arbitré par un Head de 21 ans et un juge de ligne de 18 ans. Il assume le risque de l’inexpérience à court terme, dans l’espoir de bâtir une génération docile et performante sur la durée.

Une différence culturelle et managériale

L’entretien a aussi levé le voile sur un style de management très nord-américain pouvant surprendre culturellement, voire heurter.

Le point principal de sa méthode, c’est de « contrôler la conversation », notamment face aux coachs. Pour Racicot, l’arbitre ne doit jamais « subir » l’échange. Si un entraîneur n’est pas d’accord, l’arbitre ne doit pas se justifier (ce qu’il voit comme un aveu de faiblesse), mais couper court. Il valide même l’usage d’un langage cru, citant le « fuck off » comme un outil pour stopper net les discussions et d’éventuels débats stériles.

Mais cette autorité ne doit pas être que verbale, elle doit être visuelle. Pierre Racicot regrette que certains officiels soient encore « trop discrets » ou « trop hésitants ». Il exige d’eux une présence physique indéniable : il veut voir des « gros signaux » , une gestuelle large, des sanctions plus assumées quitte à signifier plus souvent aux joueurs « c’est fini, tu t’en vas ». Il affirme aussi qu’une forme d’arrogance est nécessaire à ce niveau. Pour lui, la bonne attitude, c’est quand l’arbitre arrive et qu’on se dit : « Il a l’air un peu arrogant, mais c’est lui le Boss ». C’est cette aura de patron, cette certitude affichée, qu’il souhaite inculquer pour que le respect s’installe avant même que les matchs ne commencent.

Pour faire passer le message, Pierre Racicot n’hésite pas à secouer les arbitres, quitte à être brutal. Interrogé sur un mémo interne dont la phrase « Ça suffit !!! » résume bien le contenu que nous avions pu nous procurer, il ne recule pas d’un millimètre. Il assume totalement cette méthode, qu’il compare à celle d’un entraîneur entrant dans le vestiaire pour provoquer un électrochoc après que son équipe a gâché une avance de 3-0 : « On se réveille ! ».

Selon lui, le groupe passe trop de temps à dramatiser sa réalité et à se plaindre des conditions matérielles plutôt que de se concentrer sur l’essentiel : la glace. Sa philosophie est claire : les plaintes sur le confort sont inaudibles si la prestation n’est pas au rendez-vous. En résumé : faites le job d’abord, on discutera du reste ensuite.

Ce décalage de perception se retrouve aussi sur la gestion de la sécurité. Alors que notre sondage révélait un sentiment d’insécurité chez 92% des joueurs, Pierre Racicot relativise les incidents récents. Là où les joueurs dénoncent les dangers, lui qualifie par exemple la discorde lors du match Grenoble-Angers de simple « bruit ». « Ce qu’il s’est passé, c’est rien », tranche-t-il, estimant que même avec des arbitres de NHL, l’incident aurait eu lieu. Une vision pragmatique qui risque de faire grincer des dents dans les vestiaires.

III-La technologie pour compenser

Si l’argent manque pour créer un vrai statut professionnel, Pierre Racicot a décidé de compenser le manque d’épaisseur du portefeuille par des méthodes plus rationnelles. Sa stratégie est simple : faire « cinq fois plus » avec la même enveloppe budgétaire en remplaçant par exemple les coûteux frais de déplacement par de la technologie et de la structuration.

La pierre angulaire de cette réforme, c’est la révolution vidéo. Grâce à Sportway, plateforme sur laquelle les intéressés peuvent visionner et « taguer » systématiquement tous les matchs de Ligue Magnus, le temps où une grande partie du budget s’évaporait en essence et en nuits d’hôtel pour envoyer des superviseurs aux quatre coins de la France est révolu. Une équipe dédiée composée de spécialistes français et internationaux (Canadiens, Autrichien) analyse les rencontres à distance et envoie un feedback précis aux arbitres et à la direction dès le lendemain. Cet outil numérique permet aujourd’hui de multiplier par cinq le volume de formation et de suivi, sans dépenser un euro de plus en logistique.

Pour éviter que tout ne se décide depuis un bureau, Racicot a aussi réorganisé le maillage territorial en nommant cinq arbitres référents régionaux, dont l’angevin Johan Fauvel. Ces postes rémunérés, et il insiste bien sur le fait qu’il ne s’agit pas de bénévolat, ont pour mission de communiquer avec les petits clubs et d’assurer un suivi dans les divisions inférieures qui étaient jusqu’ici un peu abandonnées.

Un point tenait aussi particulièrement à cœur au dirigeant : répondre aux critiques sur le manque de communication envers les initiatives privées, comme l’Académie d’arbitrage de Johan Fauvel. Pierre Racicot affirme soutenir le projet « à 100 % » et que l’initiative bénéficiera même d’un coup de projecteur spécifique très prochainement.

La nouvelle équipe dirigeante a aussi donné un coup de peinture à la pédagogie afin de s’adapter à notre époque. Les formations classiques (jugées archaïques) pouvant parfois consister en des sessions de huit heures face à un PowerPoint sont bannies, laissant place à une méthode e-learning interactif et visuel. Cette modernisation s’accompagne d’une exigence : des quiz de règles sont envoyés chaque semaine, et si tout le monde ne s’y tient pas toujours (comme on a pu le voir dans le mémo), le taux de participation reste apparemment extrêmement élevé, preuve que la discipline est là. En plus de ça, un partenariat avec Warrior a été négocié afin de réduire le coût du matériel pour les officiels. Moyens limités donc, mais bonne volonté, systèmes D et optimisations à gogo.

Conclusion

Après cet entretien, on se rend compte que le train de l’arbitrage est actuellement en mouvement, piloté par une direction optimisant les moindres détails. Pierre Racicot ne vend pas du rêve et l’analogie de la « Ferrari », utilisée pour décrire le potentiel du duo nord-américain et qui l’a fait sourire, laisse place à ses propres mots. Il ne se voit pas comme une sportive italienne, mais comme un « camion de livraison » : robuste, utilitaire et conçu pour faire le job.

Cette vision est pragmatique, certes, mais elle est claire : la Ligue Magnus n’a pas les moyens de se payer le luxe du professionnalisme intégral. Elle devra donc se contenter pour l’instant de ce modèle dont le thème principal est le paradoxe : une exigence de niveau super pro avec les moyens d’une association. Reste à savoir combien de temps ce convoi utilitaire pourra suivre le rythme d’une Ligue qui ne cache plus son ambition de devenir, elle, une formule 1.